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20.000 LIEUES SOUS LES MERS (1954)
San Francisco, 1868. Un monstre marin coule les navires qui traversent l'océan Pacifique. Le gouvernement américain affrète l'Abraham Lincoln, une frégate ayant pour but de le chasser. A son bord, embarquent le harponneur Ned Land, le professeur Arronax, éminent spécialiste de la faune marine et Conseil, son fidèle assistant. Après une nouvelle attaque, les trois hommes se retrouvent naufragés et découvrent que la créature est en fait un submersible baptisé le Nautilus commandé par l'inquiétant capitaine Nemo.
LES PREMICES
L'idée du roman provient d'une suggestion de l'écrivaine George Sand qui adresse une lettre à Jules Verne datant de 1865 où elle partage son enthousiasme sur Cinq semaines en ballon et Voyage au centre de la Terre tout en espérant que sa prochaine histoire aura pour cadre les profondeurs de la mer. L'année suivante, Jules Verne termine le troisième volume des Enfants du capitaine Grant et se lance dans l'écriture du livre sous le titre provisoire de Voyage sous les eaux. Une nouvelle fois, le talentueux romancier visionnaire met en avant sa passion pour l'exploration et le progrès scientifique, préfigurant à sa manière le genre du steampunk. En 1868, les titres Vingt Mille Lieues sous les eaux, Vingt Mille Lieues sous les océans, Mille Lieues sous les océans disparaissent au profit de Vingt Mille Lieues sous les mers. Les relations sont toutefois tendues entre Verne et son éditeur Pierre-Jules Hetzel, provoquant quelques désaccords notamment sur la nature du capitaine Nemo. Le récit océanographique arrive pourtant à son terme et sa publication connaît deux formats durant les années 1869-1870 : le feuilleton dans le Magasin d'éducation et de récréation suivi de deux tomes dans la collection Voyages extraordinaires. L'édition illustrée arrive un an plus tard et contient des gravures signées Alphonse de Neuville et Edouard Riou. Pour l'anecdote, le Nautilus dont la devise est Mobilis in mobile ("Mobile dans l'élément mobile") serait inspiré d'un petit submersible inventé par l'américain Robert Fulton mais cette parenté ne semble pas avoir été confirmée par l'auteur.
En 1905, l'ouvrage est adapté pour la première fois sous la forme d'un court-métrage de 18 minutes tourné par Wallas McCutcheon avant que George Méliès ne produise une variation de 10 minutes intitulée Le cauchemar d'un pêcheur en 1907. Ancien magicien devenu cinéaste, George Méliès est considéré comme un pionner dans les trucages au cinéma et l'un de ses précédents films, Le Voyage dans la Lune (1902) puise déjà son influence dans le classique De la Terre à la Lune écrit par Jules Verne. En 1916, Universal produit une nouvelle mouture, cette fois un long-métrage muet réalisé par Stuart Paton et dont la particularité est d'insérer de véritables séquences sous-marines grâce un système ingénieux et révolutionnaire pour l'époque.
LE TOURNAGE
En 1951, Walt Disney obtient les droits de 20.000 Lieues sous les mers et envisage d'abord de le porter à l'écran sous la forme d'un long-métrage d'animation. Mais il se ravise et s'oriente plutôt vers un court-métrage pour la série de documentaires True-Life Adventure et qui portera le titre du roman. Il engage l'illustrateur Harper Goff ayant auparavant travaillé pour la Warner, dans le but de créer des storyboards pour un documentaire sur les baleines. Au lieu de cela, Goff fournit des croquis de milieux aquatiques pour une éventuelle adaptation du livre. Walt Disney n'est pas très content mais ces concepts graphiques ont une influence majeure sur sa décision de produire une version cinématographique digne de ce nom. Les studios Disney recrutent alors Richard Fleischer connu comme un cinéaste officiant dans le polar mais aussi fils de Max Fleischer, inventeur de Betty Boop et Popeye, qui fut un sérieux concurrent de la firme Disney. Le scénario est confié à Earl Felton qui accentue les tensions entre Nemo et Ned Land tandis que la bande sonore s'offre les compétences du compositeur Paul J. Smith. Pour le rôle de Nemo, Ralph Richardson est pressenti avant qu'il soit dévolu à James Mason. Malgré de potentiels risques financiers, le film bénéficie d'un budget colossal pour l'époque de cinq millions de dollars et s'affiche comme la première production Disney utilisant le format Cinemascope et le procédé photographique Technicolor.
Le tournage se montre ambitieux et débute le 11 janvier 1954. Il nécessite quatorze mois de préparation en amont et six mois supplémentaires pour les prises de vue qui font l'objet de storyboards. Les extérieurs et séquences sous-marines sont principalement filmés à la Jamaïque, aux Bahamas et dans les studios Disney (Burbank), Universal et 20th Century Fox. Les falaises de Negril en Jamaïque servent également de décor pour l'île de Vulcania. Quant au Nautilus, il est construit à l'échelle soit soixante mètres de longueur, en se basant sur les dessins de Harper Goff qui s'éloignent de sa forme littéraire cylindrique pour une apparence plus gothique et un profil bestial entre le requin et l'alligator. Les talents créatifs du directeur artistique John Meehan et du décorateur Emile Kuri sont sollicités pour élaborer les décors intérieurs du sous-marin.
L'autre créature surréaliste qui constitue le point d'orgue est le calamar géant qui s'étend sur douze mètres et requiert une vingtaine de personnes pour l'animer. Il est sculpté par Chris Mueller pendant que la partie mécanique est conçue par Robert A. Mattey qui s'occupera de l'animatronique du requin des Dents de la mer (1975). La scène de l'attaque de la pieuvre est d'abord filmée au crépuscule et dans une mer calme mais elle s'avère peu convaincante d'un point de vue esthétique. La séquence est tournée une seconde fois dans un contexte différent où le combat se déroule pendant une nuit agitée par une violente tempête.
Disney profite également de cette occasion pour s'accorder une plus grande autonomie artistique en s'affranchissant de RKO Radio Pictures et fonde Buena Vista Pictures Production qui sera désormais le distributeur des futures créations. Le film sort dans les salles le 23 décembre 1954 aux Etats-Unis et le 7 octobre 1955 en France. Au final, les efforts prodigués par cette équipe chevronnée tant sur le plan technique que créatif sont récompensés en 1955 par deux Oscars pour la direction artistique et les effets spéciaux.
LE FILM
Un classique de la littérature fantastique s'est mué en un chef-d'œuvre du cinéma d'aventures. Voyage au fond des mers où odyssée des profondeurs, de splendides images révèlent les mystères infinis de l'océan dans un magnifique spectacle qui multiplie les péripéties et distille quelques notes de poésie à travers la découverte de la faune et la flore. Dans cet univers d'un bleu envoûtant, la scénographie et les effets visuels mettent en valeur l'iconique Nautilus fendant majestueusement les eaux et renforcent le côté épique du récit. Un émerveillement et une fascination retrouvés depuis en 1989 grâce au fabuleux Abyss de James Cameron.
Certaines scènes sont devenues de véritables moments d'anthologie comme l'exploration des vestiges, la poursuite avec les cannibales et surtout l'affrontement titanesque avec un calamar agressif. L'histoire esquisse également une réflexion sur les possibles dérives de la science avec une utilisation précoce de l'énergie atomique. Soutenu par une mise en scène dynamique, le film de Richard Fleischer a voulu rendre hommage par son sens de l'esthétisme, à l'esprit du livre notamment sur les descriptions de Jules Verne et les gravures qui l'ont illustré. Quelques changements sont apportés concernant le Nautilus comme son mode de propulsion (électrique chez Verne et nucléaire ici) et les circonstances de son assemblage. Le seul ajout reste la présence de la sympathique otarie Esmeralda, un élément dans la plus pure tradition Disney.
Au niveau de l'interprétation, le charismatique Kirk Douglas apporte beaucoup de panache et d'humour à son rôle de marin baroudeur. Ses partenaires se montrent à la hauteur : Paul Lukas personnifie avec une étonnante justesse ce brillant scientifique tandis que Peter Lorre (M le maudit) campe son attachant compagnon. Mais le personnage le plus intéressant et le plus complexe demeure l'énigmatique Nemo incarné par l'excellent James Mason qui livre une composition toute en ambiguïté d'un homme aveuglé par sa haine envers l'humanité, réminiscence d'un passé torturé. L'acteur exprimant à la perfection cette souffrance intérieure. Ainsi, Nemo s'apparente à un génie idéaliste et logistique que le professeur Arronax tente de raisonner, deux idéologies qui s'opposent dans une relation mêlant réciproquement le respect et l'admiration. Le souffle de l'aventure ne s'éteindra pas puisque Kirk Douglas retrouvera Richard Fleischer pour la superbe fresque Les Vikings (1958) tandis que James Mason prendra les traits du professeur Lindenbrook dans Voyage au centre de la terre (1959), autre adaptation de Jules Verne mise en scène par Henry Levin.
20.000 Lieues sous les mers s'affiche comme un remarquable divertissement pour le grand public dont l'ambition aussi bien narrative que visuelle se reflète dans chaque plan. Même après plusieurs visionnages, le spectateur est invité à replonger dans cette épopée maritime servie par des comédiens très inspirés, une réalisation particulièrement soignée et un professionalisme technique sans failles.
DANS LE SILLAGE DU NAUTILUS
En dépit du succès public pour la version Disney, le roman connaît peu d'adaptations sur le grand écran et s'oriente davantage vers le format télévisuel. L'année 1997 voit ainsi la sortie d'une mini-série réalisée par Rod Hardy avec Michael Caine et d'un téléfilm signé Michael Anderson avec Ben Cross. Dans les deux cas, le scénario respecte son modèle littéraire mais innove un peu en intégrant un personnage féminin pour la touche romanesque. Les projets cinématographiques se succèdent pourtant. En 1995, Christophe Gans (Crying Freeman) tente de monter pendant quatre ans, sa propre vision en revisitant les origines de Nemo. A partir de 2009, McG veut engager Will Smith ou Sam Worthington dans un potentiel remake, idem pour David Fincher qui courtise Brad Pitt ou Channing Tatum pour incarner Ned Land. De son côté, Disney envisage une nouvelle mouture en 2016 qui serait dirigée par James Mangold mais les studios produisent finalement cinq ans plus tard, la série créée par James Dormer qui relate le parcours de Nemo joué par Shazad Latif.
20.000 Lieues sous les mers n'est pas le seul ouvrage de Jules Verne où apparaît le capitaine Nemo qui revient dans L'Ile mystérieuse publié en 1875. L'histoire se déroule pendant la guerre de Sécession où un groupe de cinq personnes s'évadent à bord d'une montgolfière et dérivent vers une île déserte où ils sont confrontés à d'étranges phénomènes. Le récit dévoile aussi le passé trouble et particulièrement sombre de Nemo qui fut le prince indien Dakkar, un brillant scientifique ayant quitté son pays suite à la colonisation de l'empire britannique responsable du meurtre cruel de ses proches. La première déclinaison sort en 1951 sous la forme d'un serial en 15 chapitres tourné par Spencer Gordon Bennet. Mais la plus célèbre version demeure celle produite par Columbia en 1961 et mise en scène par Cy Endfield avec Herbert Lom en Nemo. Le film se distingue par ses effets spéciaux (dont un crabe géant) élaborés par Ray Harryhausen, magicien de la stop-motion ainsi que par l'illustration musicale de Bernard Herrmann, le compositeur attitré d'Alfred Hitchcock. La télévision s'y intéresse également en diffusant la mini-série de Juan Antonio Bardem et Henri Colpi avec Omar Sharif en 1973 puis le téléfilm de Russell Mulcahy (Highlander) en 2005 où figure Patrick Stewart, interprète bien connu pour Star Trek: Next Generation et X-Men.
Fabien Rousseau
GALERIE HQ
Affiches de Bryan Bysouth, Jean Mascii, Ken Taylor (Mondo, 2012) et Andy Probert (Cinefantastique, 1984)
Concepts art de Peter et Harrison Ellenshaw
Treasures of the Walt Disney Archives (Reagan Library) : la maquette originale du Nautilus en exposition
LIEN
La biographie de Richard Fleischer (1916-2006)