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Dossier de Fabien Rousseau
LA NOUVELLE
Publiée en août 1938, La Bête d'un autre monde (Who Goes There?) est une nouvelle écrite par John W. Campbell sous le pseudonyme de Don A. Stuart dans le numéro 21 de Astounding Science Fiction, un magazine pulp dirigé par Campell en personne, qui a révélé des écrivains comme Isaac Asimov, Robert A. Heinlein ou A.E. Van Vogt. L'histoire de Campbell prend place en Antarctique où l'équipe d'une station polaire mélangeant scientifiques et techniciens dont fait partie MacReady qui est décrit comme un homme au physique athlétique comparable à celui de Doc Savage, le héros de pulps. Ils découvrent une soucoupe volante âgée de plusieurs millions d'années et contenant un étrange corps prisonnier de la glace. Ramené au camp, le bloc de glace fond et libère une créature télépathe qui peut imiter n'importe quel être vivant et projeter des pensées, semant le trouble et la terreur parmi les individus. Le monstre de l'espace est dépeint comme un caméléon dont l'apparence initiale est un humanoïde à la peau bleue avec trois yeux rouges et des cheveux en lombrics grouillants.
En France, le récit est paru pour la première fois en 1955 dans le recueil Le Ciel est mort de John W. Campbell. Depuis 2019, une quarantaine de pages ont été retrouvées et ajoutées pour la publication d'un roman plus complet sous le titre Frozen Hell chez l'éditeur Wildside Press. L'ère de l'exploration du cercle polaire a également inspiré Howard Phillips Lovecraft pour Les Montagnes hallucinées en 1936, un ouvrage fondamental dans la mythologie des Grands Anciens et de l'horreur cosmique.
LES ADAPTATIONS
La Chose d'un autre monde (1951)
Dans les médias, la science-fiction est devenue tendance notamment avec les rumeurs entourant le crash de Roswell en 1947 et l'énigmatique Zone 51. Produite par RKO Radio Picture, la première adaptation intitulée La Chose d'un autre monde voit le jour en 1951 sous la direction de Christian Nyby et de manière officieuse, Howard Hawks également producteur. La Chose se déroule à l'époque de la guerre froide et du maccarthysme mais la métaphore politique se veut moins prégnante que dans L'Invasion des profanateurs de sépultures (d'après le roman de Jack Finney) réalisé par Don Siegel en 1956 où l'idéologie communiste s'apparente à une menace venue des étoiles. Une œuvre phare dont le statut sera conforté par trois autres relectures ancrées dans différentes décennies.
Dans la version de Nyby, le spectateur assiste à une classique chasse au monstre où le capitaine Patrick Hendry campé par Kenneth Tobey, et ses compagnons sont agressés par un extra-terrestre de nature végétale et buveur de sang. Un humanoïde de grande taille aux mains griffues auquel James Arness (grimé ici pour ressembler à Boris Karloff dans Frankenstein) prête ses traits dans de courtes apparitions et qui trucide ses victimes hors-champ. Outre la présence de ce vampire stellaire, un danger supplémentaire vient de l'obsession du savant en chef dont le projet botanique augure une potentielle invasion. Le film opte néanmoins pour se démarquer de la nouvelle et le vide de sa substance anxiogène, d'où une sensation de danger quasi-absent. Le scénario change tous les protagonistes, évacue les thèmes de l'assimilation ou de la contamination et greffe une romance qui se révèle totalement futile. Malgré ces défauts, le long métrage demeure un honnête divertissement illustré musicalement par le talentueux Dimitri Tiomkin, que tout cinéphile féru de fantastique doit visionner pour sa valeur d'archive cinématographique.
The Thing (1982)
Le développement d'une nouvelle mouture démarre au milieu des années 70 mais le succès du premier Alien incite Universal Pictures à accélérer l'écriture du script qui est confiée à plusieurs scénaristes dont le réalisateur Tobe Hooper (Massacre à la tronçonneuse) ou l'écrivain William F. Nolan (auteur de L'Age de cristal) avant d'être finalisée par Bill Lancaster. Pour diriger la caméra, John Carpenter est approché très tôt mais il est véritablement pris au sérieux lorsque le premier Halloween triomphe dans les salles. Le cinéaste est un admirateur inconditionnel d'Howard Hawks dont le western Rio Bravo est transposé dans une période contemporaine pour Assaut ou futuriste pour Ghosts of Mars. Il décide néanmoins d'être plus fidèle à l'œuvre de Campbell tout en intégrant les aspects lovecraftiens de la mutation corporelle et de l'indicible créature dans un contexte rappelant Les Montagnes hallucinées.
Le long métrage s'ouvre sur la chute d'une soucoupe lumineuse dans l'orbite terrestre (intro dont Predator se fera plus tard l'écho) suivi d'un titre dévoilé en hommage au générique de la version de 1951. Une ellipse - soit un bond de 100.000 ans - amène la narration dans un environnement polaire où un chien de traîneau plutôt avenant est pourchassé par un hélicoptère puis le mystère s'épaissit suite à la découverte du site norvégien, un véritable paysage de désolation. Totalement isolés, les protagonistes sont désorientés par l'intrusion d'un organisme parasitaire mué par l'instinct de survie mais privé des pouvoirs télépathiques de son homologue littéraire. La suspicion laisse alors place à la peur dans une variation horrifique d'une enquête à huis clos digne d'Agatha Christie, l'angoisse culminant à mesure que le récit avance et cela jusqu'à l'ultime seconde. Le réalisateur instaure une atmosphère paranoïaque et une tension quasiment contagieuse dans un milieu claustrophobe où Kurt Russell déjà iconisé en Snake Plissken dans New York 1997, livre une performance hallucinante dans le rôle de MacReady sans éclipser la prestation des autres interprètes comme Wilford Brimley, Donald Moffat ou Keith David qui reviendra dans Invasion Los Angeles. Le long métrage est également relevé par la bande sonore d'Ennio Morricone (l'entêtant Humanity) et les impressionnants effets spéciaux du jeune Rob Bottin qui donne libre cours à ses créations cauchemardesques et visqueuses. Le technicien s'étant fait connaître avec les revenants de Fog et les loups-garous de Hurlements. Par ailleurs, deux autres fins ont été présentées lors des projections tests : la première où MacReady est sauvé puis disculpé grâce au test sanguin et la deuxième où il est le seul survivant laissé à son triste sort.
Sorti dans les salles le 25 juin 1982 et le 3 novembre 1982 en France, The Thing subit un échec cuisant au box office, le grand public préférant le bienveillant visiteur spatial imaginé par Steven Spielberg au nihilisme carpenterien. Néanmoins, l'année 1982 a été riche pour le cinéma de science-fiction en dévoilant quelques fleurons du genre comme Tron, Blade Runner et le second Star Trek. Grâce au format VHS, le film obtiendra une reconnaissance méritée et constituera le premier volet de la trilogie de l'apocalypse que John Carpenter prolongera avec Prince des ténèbres et L'Antre de la folie, eux-aussi très influencés par Lovecraft.
The Thing (2011)
Suivant la vague des remakes et autres reboots, The Thing est mis en scène en 2011 par l'inconnu Matthis van Heijningen Jr. qui revient sur l'épisode tragique antérieur au classique indémodable de John Carpenter. Ainsi la paléontologue Kate Lloyd incarnée par Mary Elizabeth Winstead débarque dans l'installation des norvégiens qui ont trouvé l'épave d'un astronef et surtout un être venu d'ailleurs en état de congélation. Sans doute écrasé par le poids de son héritage, le film se rapproche plus de l'hommage respectueux à son prédécesseur de 1982 que d'une véritable préquelle en reprenant la structure narrative (notamment un recyclage souvent risible des séquences clés), ramenant un simili-MacReady joué par Joel Edgerton et n'essaye même pas de proposer une troisième relecture du roman de Campbell. La seule innovation notable se révèle dans une tentative d'intégrer une partie ufologique via la visite intérieure du vaisseau qui s'avère plutôt vaine et peu développée. Dans ce contexte, une scène non finalisée prévoyait une rencontre mouvementée entre Kate et le pilote extra-terrestre à 3 yeux (clin d'œil au roman ?), relié aux commandes par des câbles dans le dos.
L'intrigue se résume donc à une quête de survie assez basique mais réhaussée par une interprétation qui sonne juste et un suspense relativement bien agencé même si la prolifération de créatures numériques étouffe souvent le climat anxiogène lié aux tensions psychologiques. Un choix esthétique qui pèse sur le rendu organique au risque de voir certains effets spéciaux paraître désuets avec le temps sans parler de l'absence de folie créatrice sur le bestiaire. A force de vouloir trop assimiler son modèle, cette version se retrouve dépourvue d'originalité et d'audace mais remplit son contrat en terme de divertissement horrifique, sans être toutefois mémorable.
L'UNIVERS ETENDU
Dans les années 90, l'éditeur Dark Horse Comics souhaite exploiter le filon des univers étendus. Son catalogue inclut les franchises Star Wars, Alien, Predator, Indiana Jones et The Thing qui se décline sur quatre séries en comic-books entre 1991 et 1994. The Thing From Another World et Climate of Fear font suite au film de Carpenter où MacReady et Childs, les survivant de l'avant poste 31 sont rapatriés vers une base en Argentine où la Chose réussit à contaminer progressivement le personnel de l'environnement militaire. Dans Eternal Vows, MacReady débarque dans un port en Nouvelle Zélande tandis que le parasite extra-terrestre s'est réfugié dans un corps féminin et cherche à se reproduire. Questionable Research présente un récit indépendant où des scientifiques ont emporté des échantillons de l'organisme protéiforme à bord d'un cargo. En 2011, Dark Horse publie également un comic-book en ligne, The Northman Nightmare dont l'action se déroule au Groenland à l'époque des vikings. Des guerriers arrivent dans un village ravagé par le feu et se méfient des survivantes. Malgré la renommée du film, les comics n'ont pas été traduits en version française.
Outre les comics, la licence revient en 2002 sous la forme d'un jeu vidéo développé par Computer Artworks et distribué par Black Label Games/Konami sur Xbox, PlayStation 2 et PC. Ce survival horror propose une séquelle au film de 1982 où le joueur contrôle le capitaine Blake des Forces spéciales US principalement en mode TPS (jeu de tir à la troisième personne) qui doit explorer les camps américain et norvégien mais l'opération tourne au carnage. Plus tard, Blake découvre sous la station norvégienne, le laboratoire secret d'une société privée où est développé un virus microbiologique à partir des cellules de la Chose et qui pourrait servir dans une potentielle guerre. Au rayon littérature, deux livres sont également sortis en 2019. Le premier The Thing: Zero Day signé Lee McGeorge raconte une version différente des événements de la base norvégienne tandis que le second Short Things est un recueil de plusieurs romanciers reconnus qui brodent des récits autour de ce fléau enfoui sous les glaces.
LE PROJET ABANDONNE
En 2005, Sci-Fi Channel annonce le projet d'une mini-série de 4 heures en 2 parties (Exposure et Extreme Amplification) intitulée Return of the Thing et produite par Frank Darabont, réalisateur connu pour plusieurs adaptations de Stephen King. Dans le scénario de David Leslie Johnson, l'intrigue prend place six mois après le film de Carpenter. Ayant reçu l'appel au secours lancé par Windows, les russes envoient une expédition scientifique menée par le docteur Lukanov qui trouve les corps gelés de MacReady et Childs ainsi qu'une trace de sang dans l'engin spatial enneigé. L'histoire fait ensuite un bond jusqu'en 2005 dans un avion reliant Moscou à Los Angeles où un terroriste tchétchène infecté par la Chose sème le chaos et provoque la chute de l'engin dans un désert du Nouveau-Mexique. Un coyote est contaminé en s'aventurant parmi les débris et il est bientôt pourchassé par John Little Bear, un amérindien qui pense avoir démasqué un skinwalker, un esprit malfaisant de la mythologie indienne possédant les animaux. Le coyote se propage dans la faune qui finit par atteindre les habitants de la ville de Noël. Plus tard, Lukanov révèle aux autorités américaines que le but était de développer une arme bactériologique et que les tests sur l'échantillon ont tourné au désastre avant qu'il soit dérobé par des rebelles tchétchènes. Devant la menace croissante de l'épidémie, les militaires et les dirigeants prennent la décision de larguer une bombe atomique sur la zone alors que Lukanov et ses confrères tentent désespérément de trouver une solution pour différencier les humains et les copies.
Le script reprend la théorie selon laquelle la Chose n'est pas le pilote du vaisseau où les russes ont découvert les cadavres d'un équipage insectoïde. Celui-ci a été confronté à l'organisme multi-cellulaire qui a intégré les caractéristiques génétiques de toutes les espèces croisées dans l'univers. Le concept de la mini-série est abandonné lorsque Universal décide de produire un remake (devenu la préquelle de 2011) et d'engager Ronald D. Moore, scénariste et producteur sur les séries Star Trek, Battlestar Galactica et Helix où l'humanité est victime d'une contagion virale qui prend sa source en Arctique.
SOUS INFLUENCE
Les films et épisodes de séries listés ci-dessous sont inspirés par le roman de Campbell ou l'œuvre de Carpenter. Les différentes intrigues se focalisent sur le principe du groupe d'individus dans un environnement isolé comme une base sous-marine, une station polaire ou une plate-forme de forage. Les protagonistes sont tourmentés par un extra-terrestre protéiforme souvent tentaculaire ou un organisme tiré d'une hibernation millénaire et particulièrement contagieux.
- Terreur dans le Shanghaï Express (1972). Film d'Eugenio Martin avec Christopher Lee et Peter Cushing.
- Lily C.A.T. (1987). Film d'animation de Hisayuki Toriumi.
- Leviathan (1989). Film de George P. Cosmatos avec Peter Weller.
- X-Files : Projet Arctique (1993). Episode de David Nutter avec David Duchovny et Gillian Anderson.
- Phantoms (1998). Film de Joe Chappelle avec Ben Affleck. Adapté du roman de Dean Koontz.
- Au-delà du réel : Insectes polaires (2000). Episode de Scott Peters avec Robert Sean Leonard.
- The Last Winter (2006). Film de Larry Fessendein avec Ron Perlman.
- Rêves et Cauchemars : Crouch End (2006). Episode de Mark Haber avec Claire Forlani.
- The Thaw (2009). Film de Mark A. Lewis avec Val Kilmer.
- Harbinger Down (2015). Film de Alec Gillis avec Lance Henriksen.
- The Void (2016). Film de Steven Kostanski et Jeremy Gillespie avec Aaron Poole.
GALERIE HQ
ROMAN / FILMS / UNIVERS ETENDU
Roman : illustrations de Hannes Bok (édition de 1948), Bob Eggleton (Frozen Hell, 2019) et 2 vues d'artiste
Les affiches officielles (Les Edwards et Drew Struzan pour The Thing 1982)
Comics et jeu vidéo : couvertures de John Higgins, Paul Gulacy et Menton3
THE THING (1982)
la version arachnide de Dale Kuipers et les croquis de Mike Ploog
THE THING (1982) : POSTERS ALTERNATIFS
Graham Humphreys | Kyle Lambert | Paul Mann | Yvan Quinet | Nick Runge | Martin Schlierkamp | Enzo Sciotti
Chris Sears | Paul Shipper | Christopher Shy | Randy Ortiz | Devon Whitehead (2) | Leslé Kieu
LIENS
Nouvelle de 1938 >>> Adaptation BD publiée dans la revue Starstream (17 pages, anglais)
Film de 1982 >>> Dossier du magazine Cinefantastique sur les effets spéciaux (21 pages, anglais) | Galerie des créatures (croquis, modèles)
Film de 2011 >>> Galerie de la scène coupée du pilote extra-terrestre | Vidéos du studio ADI : la conception du pilote et des créatures
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