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Chronique de Fabien Rousseau
LA TREMPE D'UN VAINQUEUR
Depuis 40 ans, Robert "Rocky" Balboa fait partie des mythes du cinéma américain. Pourtant, le personnage tel qu'il existe n'aurait jamais vu le jour si Sylvester Stallone (Sly pour les fans) n'avait pas forcé sa chance. Au milieu des années 70, Stallone est un comédien débutant apparu dans La Course à la mort et Les Mains dans les poches. Il est dans une situation précaire au point d'être obligé de vendre son chien Butkus qui figurera plus tard dans les films. La date du 24 mars 1975 est importante dans sa vie puisqu'il assiste au combat entre Mohamed Ali et Chuck Wepner. Ce dernier est donné perdant et l'endurance du challenger face au champion impressionne Stallone qui se met à écrire un premier jet de 90 pages en trois jours. Il baptise son héros en hommage au boxeur Rocky Marciano cité dans un dialogue. Se présentant pour un casting, Stallone rencontre les producteurs Irwin Winkler et Robert Chartoff et leur suggère son script. Le duo se montre intéressé et lui propose d'abord 10.000 dollars pour l'acquérir mais devant l'hésitation de Stallone, les enchères montent à 350.000. L'acteur est prêt à céder les droits et son cachet de scénariste à la seule condition qu'il obtienne le rôle principal. Egalement concernés dans la production, les pontes d'United Artists souhaitent plutôt engager une valeur sûre comme James Caan, Burt Reynolds, Ryan O'Neal ou Robert Redford mais ils se laissent pourtant convaincre par Winkler et Chartoff.
L'histoire relate le parcours de Rocky, homme de main d'un usurier et boxeur occasionel d'un quartier défavorisé de Philadelphie, fréquentant la timide Adrian, la sœur de son meilleur ami Paulie. Lorsque l'occasion d'affronter Apollo Creed, le champion du monde des poids lourds se présente, il accepte de suivre l'entraînement rigoureux de Mickey, un vétéran dans la discipline. Son principal objectif étant de tenir les quinze rounds et de prouver qu'il a l'étoffe d'un grand boxeur. Le scénario subit neuf réécritures dont les principaux changements concernent Mickey dépeint comme raciste ou la fin montrant Rocky écœuré par le monde de la boxe. La distribution s'avère moins facile que prévu. Carrie Snodgress et Susan Sarandon sont auditionnées pour Adrian mais sont rapidement écartées. Le boxeur Ken Norton est choisi pour Apollo Creed mais se retire subitement du projet. Quelques noms sont évoqués pour Mickey dont ceux de Lee J. Cobb ou Mickey Rooney. Stallone suggère Harvey Keitel pour Paulie. Les rôles sont finalement dévolus à Talia Shire apparue dans Le Parrain de Francis Ford Coppola, Burt Young, Burgess Meredith et Carl Weathers, un ancien footballeur professionnel. Sous la direction de John G. Avildsen, le tournage débute en décembre 1975 et dure 28 jours avec un budget qui approche le million de dollars. Même si tout se déroule plutôt bien, les séances de répétition sont physiquement éprouvantes pour Stallone et Weathers. Un procédé innovateur et encore non répandu est utilisé pour certaines prises de vue : la steadycam qui sert lors de la montée des marches et de la séquence finale sur le ring. Le long métrage sort le 3 décembre 1976 et obtient un succès inespéré au box-office. En 1977, il est nominé dans dix catégories et remporte trois Oscars pour le meilleur film, le meilleur réalisateur et le meilleur montage.
UN HEROS ADULE
L'enthousiasme du public pour l'Etalon italien encourage Stallone à passer derrière la caméra en 1979 pour Rocky II : La revanche. Le boxeur tente une reconversion mais l'échec le pousse à accepter le match retour contre Apollo qui le propulse nouveau champion du monde. Dans Rocky III : L'œil du tigre (1982), il est défié au sommet de sa gloire par le hargneux Clubber Lang (Mister T.). Vaincu et bouleversé par le décès de Mickey devenu une figure paternelle, Rocky perd confiance mais trouve un soutien inattendu en Apollo pour la reconquête du titre. Celui-ci meurt des poings du soviétique Ivan Drago (Dolph Lundgren) et Rocky décide de venger l'honneur de son ami dans Rocky IV (1985). L'année 1990 marque un retour aux sources avec Rocky V où le champion à la retraite revient dans son ancien quartier et entraîne le jeune Tommy Gunn (le boxeur Tommy Morrison) au grand dam de son fils Rocky Jr. joué par Sage Stallone. A la réalisation, Sylvester Stallone qui a signé les trois précédents laisse sa place à John G. Avildsen. Seize ans plus tard, Stallone souhaite offrir un ultime baroud d'honneur à son personnage fétiche. Dans Rocky Balboa, le boxeur retraité a ouvert un restaurant dédié à sa défunte épouse et reste proche de son beau-frère Paulie même si son fils Robert s'est éloigné de lui. Une dernière occasion de remonter sur le ring lui est offerte grâce à un match d'exhibition contre l'actuel champion Mason Dixon (le boxeur Antonio Tarver). Stallone pense avoir définitivement clôturé la saga jusqu'en 2016 où Rocky devient le protagoniste secondaire de Creed réalisé par Ryan Coogler où Adonis Johnson (Michael B. Jordan), le rejeton illégitime d'Apollo demande à Rocky de l'entraîner. Cette fois, Rocky trouve un fils spirituel et passe le flambeau pour de bon.
La saga Rocky demeure sans aucun doute l'une des plus populaires au cinéma même si elle a connu des hauts et des bas à l'instar de la carrière de son interprète. Le film initial est une chronique sociale et sportive qui mélange souvent les genres (comédie, drame, romance et suspense) tout en proposant une allégorie sur le rêve américain. Stallone offre sa meilleure performance, incarnant un personnage honnête, sensible voire un peu naïf donc immédiatement sympathique et attachant. Un homme de la rue qui est en quête de respectabilité et fait preuve d'humilité face à son arrogant adversaire. Les comédiens lui donnant la réplique, se montrent toujours justes et inspirés par la subtilité de l'écriture. Certaines séquences restent mémorables notamment la course avec l'icônique survêtement gris dans les rues jusqu'à la montée des marches qui constitue un pur morceau de bravoure. Le spectateur vibre pour Rocky dès qu'il paraît en difficulté et pleure de joie avec lui quand la cloche finale résonne. L'émotion étant accentuée par les compositions de Bill Conti qui alterne entre fanfares triomphantes (l'hymne Gonna Fly Now) et notes plus mélancoliques pour les passages intimistes. Porté par la sincérité de ses auteurs, ce chef d'œuvre révèle un surprenant potentiel dans la narration qui prend véritablement aux tripes. Sa suite directe se veut dans la même lignée et impose la marque de fabrique avec l'ouverture rappelant un procédé hérité du serial. Les deux opus suivants sont très influencés par l'esthétisme visuel des années 80 et l'émergence du sport-spectacle. Des longs métrages qui misent sur l'efficacité et le rythme dont un s'enlisant dans la caricature politique poussive. La bande son se fait aussi plus rock, dominée par l'incontournable Eye of the Tiger du groupe Survivor. Les autres épisodes renouent avec la sobriété des débuts et s'inscrivent dans une veine nostalgique. L'acteur dresse un bilan de la franchise et ancre définitivement son héros au panthéon du film de boxe. Ainsi Rocky est devenu un symbole de persévérance et de courage. En 2006, la ville de Philadelphie a même accordé une place de choix à la statue de bronze offerte par Stallone en 1982 et sculptée par l'artiste A. Thomas Schonberg : près des escaliers menant au musée d'arts où Rocky levait des bras victorieux dans la froideur du petit matin.
Quant à Sylvester Stallone, il n'a jamais retrouvé un rôle aussi intense que celui de Rocky et beaucoup lui ont collé une étiquette d'icône du film d'action même si il aurait pu devenir Han Solo, Superman, Axel Foley ou John McLane. Une période sur laquelle il porte d'ailleurs un regard amusé et nostalgique dans la trilogie Expendables. Toutefois, son potentiel dramatique dans La Taverne de l'enfer, F.I.S.T., le premier Rambo ou Cop Land a prouvé qu'il pouvait être autre chose qu'un rival d'Arnold Schwarzenegger. Amateur de peinture et de littérature, Stallone avait projeté depuis 2005 de mettre en scène une biographie sur le romancier Edgar Allan Poe et voyait Robert Downey Jr. pour l'incarner. Acteur, réalisateur, scénariste et même chanteur (le générique de La Taverne de l'enfer), autant de cordes à son arc qui ont forgé la légende de Sly dont le parcours parfois houleux et l'inébranlable capital sympathie suscitent encore l'admiration des fans.
LE MONTAGE PERDU DE ROCKY
Pour Rocky V, Stallone souhaita utiliser le matériel inédit du premier et demanda l'autorisation à la Metro Goldwyn Mayer. Le studio lui répondit que les trois scènes tournées (dont une fin alternative) ont été incinérées dans les années 80. Néanmoins, des archives témoignent de l'existence de ces séquences à travers des extraits du script et de multiples photographies.
- Scène 1 : Lors de l'entraînement de Rocky, la presse télévisée débarque dans le gymnase de Mickey, bientôt suivie par Apollo et son équipe pour un coup publicitaire. Jaloux, Dipper Brown (Stan Shaw), un boxeur de la salle provoque Rocky et assomme un entraîneur qui tente de s'interposer. D'abord calme, Rocky finit par bombarder Brown de coups violents devant les yeux d'Apollo qui commence à prendre son adversaire au sérieux. >>> Script (en anglais) et photos
- Scène 2 : Après qu'Adrian ait offert Butkus à Rocky, le couple entre dans l'appartement qui est rempli de télégrammes. Elle lui montre un rideau qu'elle vient d'acheter et lui donne un tee-shirt portant l'inscription "Win, Rocky, Win.". Rocky porte ce maillot durant les séances d'entraînement des deux premiers films : il est à peine perceptible dans le premier et nettement plus visible dans le second. >>> Script (en anglais) et photos
- Fin alternative : Dès la fin du match, les spectateurs portent Rocky et Apollo hors du ring. Rocky s'éloigne ensuite vers le rideau derrière lequel il trouve Adrian. Le couple traverse une grande allée dont le sol est jonché de petits drapeaux américains. Rocky en ramasse un puis ils se dirigent vers les vestiaires. >>> Script (en anglais) et photos