Spawn - Les Héros de l'Ecran

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Dossier de Fabien Rousseau

LE CREATEUR

Né le 16 mars 1961 Calgary (Alberta), Todd McFarlane découvre l'art graphique durant l'adolescence en plus d'être passionné par le base-ball qu'il pratique. Employé dans une boutique spécialisée dans les comics, le jeune homme s'exerce au dessin en s'inspirant des styles de John Byrne, Michael Golden et Art Adams. Après de nombreux rejets de candidature, le dessinateur amateur fait ses premières armes en 1984 sur la BD Coyote éditée par Epic Comics (sous l'égide de Marvel). McFarlane oriente bientôt sa carrière en travaillant sur des titres prestigieux. DC lui confie les pages de Batman: Year Two (1987) et Infinity Inc. tandis que Marvel l'engage pour qu'il collabore avec l'écrivain Peter David sur The Incredible Hulk (1987-1988). A partir du numéro 298, il devient un illustrateur majeur de The Amazing Spider-Man en 1988 où le super-héros arbore une nouvelle apparence contorsionniste aux poses très arachnéennes, muni d'un masque aux grands yeux et de toiles plus organiques (appelées "spaghettis"). La même année, le personnage d'Eddie Brocke et son alter-ego Venom voient le jour grâce à l'imagination de McFarlane et du scénariste David Michelinie. En 1990, Marvel lance une série inédite Spider-Man illustrée et scénarisée par McFarlane. Toutefois après plusieurs numéros, la violence dans Spider-Man pose problème et les désaccords artistiques se multiplient entre l'auteur et le rédacteur en chef. Fatigué de l'ingérence éditoriale et du manque de considération, McFarlane décide de quitter Marvel avec l'objectif d'être totalement indépendant.

En 1992, McFarlane fonde le groupe Image Comics avec Marc Silvestri (Witchblade), Rob Liefeld (Deadpool), Jim Lee, Erik Larsen, Jim Valentino et Whilce Portacio où chaque artiste détient son propre éditeur afin de pouvoir gérer librement leurs droits d'auteur. Ainsi Youngblood de Liefeld, la première publication de l'année est suivie par Spawn de McFarlane, Savage Dragon de Larsen, Wildcats de Lee, Cyberforce de Silvestri, et Shadowhawk de Valentino. Plus tard, Astro City de Kurt Busiek & Alex Ross en 1995 ou Walking Dead de Robert Kirkman en 2003 enrichiront le catalogue d'Image. En marge du secteur comic-book, McFarlane développe Todd McFarlane Entertainment qui produit et réalise les clips des groupes Pearl Jam, Korn et Disturbed. Ses autres activités concernent les gammes de figurines McFarlane Toys qui connaissent un énorme succès auprès des collectionneurs et les produits dérivés pour le base-ball.

L'HISTOIRE

Formé à l'école militaire, Al Simmons intègre l'unité spéciale pour la protection du président. Il est décoré pour acte de bravoure et obtient le grade de lieutenant-colonel dans les Marines. Il est ensuite recruté par Jason Wynn, le directeur des services secrets qui s'avère être cruel et dépourvu d'empathie. Simmons montre une tendance à la brutalité avec sa femme l'avocate Wanda Blake et doute du bien-fondé des missions confiées par Wynn. Ce dernier inquiet des états d'âme de son soldat ordonne qu'il soit supprimé. Lors d'une mission au Bostwanga, Simmons est trahi par ses partenaires Jesse Chapel (issu du comic Youngblood) et Jessica Priest. Brûlé au lance-flamme par son "ami" Chapel, Simmons agonise avant d'être expédié vers le huitième sous-sol et dernier niveau de l'enfer où règne Malebolgia. Celui-ci lui propose un pacte où il pourra revoir sa femme si il mène les légions démoniaques contre les forces célestes.

Après 5 années de tourments, Simmons revient sur Terre sous la forme d'un Hellspawn, un rejeton de l'enfer doté d'une armure nécroplasmique et d'un linceul vivant (le symbiote K7-Leetha) aux propriétés extraordinaires. Spawn est également accompagné par le Clown qui se transforme en Violator pour commettre ses actes sanguinaires. Spawn trouve refuge dans les ruelles sombres de Rat City et devient le protecteur des sans-abri en se faisant juge et bourreau. Partiellement amnésique, il apprend que Wanda s'est remariée avec Terry Fitzgerald, un analyste intègre de la CIA avec lequel elle a eu une petite-fille prénommée Cyan. Il croise le chemin de Cagliostro (un ex-Spawn du moyen âge) qui tente de le raisonner mais Simmons massacre les sbires du mafieux Tony Twist qui engage Overkill, un mercenaire cyborg pour traquer Spawn. En parallèle, les détectives Sam Burke et Twitch Williams enquêtent sur les meurtres perpétrés dans ce quartier sordide alors que Billy Kincaid, le tueur d'enfants sévit dans un endroit plus tranquille. De leur côté, Wanda et Terry collectent des preuves sur les activités clandestines de Wynn.

Dans l'intervalle, la guerre entre le ciel et l'enfer (l'Armageddon) pour les âmes continue de menacer l'espèce humaine. Le paradis envoie Angela, guerrière céleste d'une armée divine ayant pour but d'éliminer Spawn. Mais elle sent que le justicier ne représente pas une menace, étant en quête d'une humanité perdue et ils deviendront des alliés pendant quelques temps. Spawn devra affronter des démons toujours plus puissants comme Malebolgia, Urizen, Mammon et Satan qui se disputent le trône de l'enfer. Par la suite, Jason Wynn sera métamorphosé en Anti-Spawn, Cagliostro révélera sa véritable nature tandis que Simmons libéré de sa malédiction rencontrera l'entité Greenworld pour restaurer ses pouvoirs et ainsi retrouver sa place d'ange-gardien.

LE PERSONNAGE

Todd McFarlane commence l'élaboration de Spawn à l'âge de 16 ans et ne cesse de l'améliorer en se nourrissant de son expérience passée chez les éditeurs : la cape tentaculaire de Batman, la relation symbiotique de Venom, le climat violent et surnaturel de Spider-Man. Bien que l'origine de l'ange déchu soit de nature biblique, la figure du damné trouve ses sources dans Faust (1808) de Goethe et Le Fantôme de l'opéra (1910) de Gaston Leroux, deux œuvres littéraires qui influenceront les comics Ghost Rider (1972) de Roy Thomas, Gary Friedrich et Mike Ploog ou Faust (1987) de David Quinn et Tim Vigil. Des récits marqués par les thématiques du pacte méphistophélique, du mysticisme, de l'influence maléfique et de la rédemption qui sont passés du format papier à la toile cinématographique. Dans Spawn, l'horreur, la cruauté et la perversion ont souvent un visage humain et les entités malveillantes n'ont pas besoin de forcer pour semer le chaos parmi la population mondiale. Entre ombre et lumière, Spawn confirme son statut d'anti-héros maudit tout en demeurant Al Simmons, le soldat afro-américain qui continue de se battre pour un idéal. Dans un certain sens, il pourrait être l'héritier d'icônes classiques comme Black Panther, Falcon, Storm, Cyborg ou John Stewart/Green Lantern.

Sous le label Todd McFarlane Productions, le premier numéro de Spawn paraît en mai 1992 et atteint un record de vente avec 1,7 million d'exemplaires. Un succès qui s'explique par l'engouement des lecteurs qui apprécient le style horrifique, l'ambiance glauque et l'humour noir au sein de récits à consonance apocalyptique ainsi que la composition dynamique des cases et des doubles pages épiques. McFarlane dessine la saga jusqu'en 1994 où il est remplacé par Greg Capullo tandis que les scénaristes Alan Moore, Neil Gaiman, Frank Miller ou Grant Morrison viennent enrichir la saga qui s'ouvre également à des crossovers avec Batman, Witchblade et Wildcats. L'univers de Spawn s'étend sur quatre décennies à travers de nombreuses déclinaisons et les séries sur Sam & Twitch, Violator, Angela (créée par Neil Gaiman), Lord Covenant (The Dark Ages), Gunslinger ou King Spawn. Depuis 2022, McFarlane a lancé L'Escouade infernale qui rassemble Le Faucheur, Le Rédempteur, Le Pistolero, Miss Spawn et Medieval Spawn, des chasseurs de créatures démoniaques. En France, les différents comics ont été publiés en volumes par Semic et Delcourt. Désormais ancré dans la culture populaire, Spawn est apparu sur une pochette du groupe Iced Earth, dans les jeux vidéo Soulcalibur 2 et Mortal Kombat 11 ainsi que dans le film Ready Player One.

LE FILM

En 1992, Columbia Pictures se montre intéressé pour produire l'adaptation mais Todd McFarlane refuse pour un motif de droit créatif. Par le biais de sa compagnie Todd McFarlane Entertainment, l'auteur s'associe avec New Line Cinema pour transposer le comic-book sur grand écran. New Line Cinema est connue pour être productrice sur la saga Freddy Krueger, les adaptations des Tortues Ninjas et de The Mask mais surtout la trilogie Le Seigneur des Anneaux. Les cinéastes Tim Burton (Batman) et Alex Proyas (The Crow) sont d'abord envisagés mais le choix s'oriente vers Mark AZ Dippé, animateur chez ILM ayant œuvré sur les effets spéciaux de Abyss, T2 et Jurassic Park. Quant à la distribution, Michael Jai White, acteur (il a joué Mike Tyson) et artiste martial incarne le rôle-titre. Il donne la réplique à Martin Sheen (Apocalypse Now), John Leguizamo (Super Mario Bros), Theresa Randle (Girl 6), Nicol Williamson (Excalibur), D.B. Sweeney (Memphis Belle) et Melinda Clarke (Le Retour des morts-vivants 3). Le budget alloué monte à 40 millions de dollars en raison des plans fx et le tournage dure en totalité 2 mois. Spawn sort en août 1997 (décembre pour la France) avec un box-office qui n'est pas faramineux et il est rapidement dépassé par Batman & Robin qui fait de bons scores dans les salles malgré une qualité discutable.

L'enfer est pavé de bonnes intentions, une citation de circonstance qui pourrait convenir à cette adaptation où un réalisateur débutant s'est cruellement fait dévoré par la volonté commerciale des producteurs (McFarlane inclus) de coller au PG-13. Le film sent la censure, aucune goutte d'hémoglobine, aucune sonorité de dialogue trash. Son scénario à l'enjeu basique cède aux facilités dans un ensemble aseptisé et formaté pour tenir dans un format de 90 minutes. Le jeune public est bien visé avec le Clown débitant ses blagues infantiles, le gamin vagabond et le petit chien qui se rapprochent presque de l'esprit disneyien. De plus, Michael Jai White qui semble croire à son personnage se retrouve face au cabotinage permanent de John Leguizamo en Clown gesticulant et Martin Sheen en Jason Wynn fronçant les sourcils pour accentuer la caricature du vilain. Côté innovation, le mercenaire Chapel est remplacé par Jessica Priest créée pour l'occasion et intégrée plus tard dans la BD. A ce sujet, un œil aguerri aura peut-être remarqué les caméos d'Angela, de Sam & Twitch ou de McFarlane en sans-abri.

Déjà défaillant, le récit n'est pas rattrapé par ses effets visuels qui alternent le bon et le franchement hideux. Le costume de Spawn s'avère le plus réussi par sa fidélité même si l'animation de la cape (en mode camouflage ou bouclier) et des chaînes peinent à convaincre. Un défaut qui gâche un plan final icônique où Spawn assis sur une croix, déploie son immense linceul. Les équipes de KNB EFX et ILM réalisent également un travail honorable sur le rendu du Violator, qu'il soit numérique ou en taille réelle. Par contre, la vision de l'enfer atteint un rare niveau dans le grotesque avec un Malebolgia tout droit sorti d'une mauvaise cinématique de Playstation. Apocalyptique, le long-métrage l'est mais certainement pas dans le sens voulu. Et la soit-disant version Director's Cut n'apporte rien sur le fond, juste quelques plans supplémentaires, tout cela paraît bien factice et vain. La sentence a d'ailleurs été sans appel pour Mark Dippé dont la carrière a depuis sombré dans les abîmes du DTV.

En clair, le fan du comic-book ne retrouvera pas la noirceur du matériau d'origine et devra se contenter d'un divertissement mélangeant l'action au fantastique certes rythmé mais passé au filtre du studio. Sa bande sonore s'inscrit d'ailleurs dans la mode de l'époque où le hard rock côtoyait le courant industriel. Heureusement que l'année suivante, Blade avec Wesley Snipes viendra ouvrir une nouvelle ère d'adaptations sérieuses en offrant un véritable spectacle sans édulcoration.

Quant à l'avenir de la licence au cinéma, Todd McFarlane a déclaré en 2007 qu'il envisage une nouvelle version. Deux ans plus tard, il a écrit un scénario pour une adaptation plus adulte et orientée vers l'horreur. La compagnie Blumhouse Productions a également annoncé que McFarlane réalisera le film qui mettrait en vedette le détective Twitch Williams campé par Jeremy Renner (Hawkeye) tandis que Spawn joué par Jamie Foxx (Django Unchained) resterait en arrière-plan. Depuis, le projet est toujours sur les rails mais le script de McFarlane fait l'objet de constantes réécritures.

LA SERIE ANIMEE

Productrice chez HBO, Catherine Winder sollicite Todd McFarlane afin de lancer une série animée sur sa création. La célèbre chaîne affiche ses ambitions en engageant Eric Radomski, co-créateur de Batman: The Animated Series qui supervise le projet budgété à 6 millions de dollars. Le scénariste Alan B. McElroy (auteur du mauvais script filmique) et la compositrice Shirley Walker ayant signé le thème principal du Batman animé apportent leur contribution à cette adaptation télévisée. Todd McFarlane's Spawn (ou Spawn:The Animated Series) comprend 3 saisons de 6 épisodes qui sont introduits par Todd McFarlane et sont diffusés entre le 16 mai 1997 et le 28 mai 1999. En 2004, une quatrième saison intitulée Spawn: The Animation était en développement mais elle ne s'est jamais concrétisée en dépit de critiques élogieuses et d'une récompense aux Emmy Awards.

La série animée prend le contre-pied du film, prêchant la fidélité et n'épargnant aucune atrocité au spectateur. L'histoire prend place à Rat City, le territoire de Spawn qui étale sa saleté et son atmosphère glauque à l'écran. Les ombres se faufilent sur les murs tels des spectres, évoquant par moments l'imagerie du cinéma expressionniste allemand. Spawn étant lui-même représenté dans un design minimaliste où brillent deux inquiétants yeux verts dans l'obscurité. Bénéficiant d'une animation fluide et remarquable, la plupart des épisodes optent pour les intrigues policières dans le contexte urbain, délaissant en grande partie le côté surnaturel inhérent à l'univers de McFarlane. Le traitement adulte s'affiche clairement dans les scènes de violence aussi graphiques que malsaines ou en s'autorisant parfois une légère touche d'érotisme. L'anime Spawn réhabilite ce personnage au potentiel fantastique, déshonoré par un film indolent et se révèle une excellente entrée en matière pour les profanes du comic-book qui seraient curieux d'en découvrir davantage.

GALERIE HQ

Illustrations de Todd McFarlane pour Batman: Year Two, The Incredible Hulk et The Amazing Spider-Man

Spawn par Todd McFarlane (dont le prototype du costume)

Hommages de Todd McFarlane :
Superman de Joe Shuster, Spider-Man de Jack Kirby & Steve Ditko, The Dark Knight de Frank Miller et Savage Dragon d'Erik Larsen